Dang'an, héritage de l'ère Mao, épée de Damoclès du citoyen chinois

en attendant la fin de maintenance de www.tibet.fr (déjà accessible mais encore incomplet) voici ma dernière traduction montrant le visage intérieure de la dictature chinoise   :


CHINE, 15 mars : Les "dossiers personnels " orwelliens, made in China

Posté par : RFT
Date : 17/03

Rare lecture d'un " dossier personnel " chinois


Ecrit par Andrew Jacobs
March 15, 2015 6:00 pm March 15, 2015 6:00 pm
Sinosphere / New-York Times, lien original ici



Qu'il s'agisse d'une carte d'identité à données biométriques ou d'un " permis de naissance " pour les femmes enceintes, les Chinois sont habitués à l'intrusion autoritaire dans leur vie privée.


Pourtant, il existe un autre mécanisme invisible de contrôle social qui étend son spectre sur des centaines de millions de citadins : le dang'an, que l'on peut appelé "dossier personnel", traite du banal à l'irrévérencieux. Ces dossiers débutent dès les classes de collège - le sujet joue-t-il avec les autres ? - puis, à l'âge adulte, ils s'intéressent à la religion, aux problèmes psychologiques et à la perception de la fiabilité politique.


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L'écrivain tibétaine Tsering Woeser fait partie des rares citoyens chinois à avoir lu son dang'an.Credit Andrew Jacobs/The New York Times

Dans des enveloppes brunes scellées avec le mot dang'an écrit en rouge dessus, ce système d'archives héritée de l'ère Mao relève les détails les plus intimes de la vie grâce aux enseignants, aux fonctionnaires du Parti Communiste et aux employeurs. Des copies se trouvent dans les archives locales, les bureaux de police ou avec le patron employant la personne.

Certes, l'ouverture de la Chine au Marché mondial (et les opportunités d'emplois apportées par les entreprises étrangères et le privé ) a minimisé l'impact du dang-an vis à vis des carrières. Toutefois, un dang-an défavorable pourra ruiner les projets d'avenir professionnel d'une personne cherchant un travail dans la fonction publique, y compris dans les entreprises et les banques d'état.

Récemment, le personnel corrompu d'une école a été pris la main dans le sac occupés à vendre les dossiers personnels de ses meilleurs élèves. Les acheteurs : des parents d'enfants aux pauvres résultats scolaires qui pouvaient ainsi prétendre à de meilleurs établissements grâce à cet achat.

Voir disparaître son dang'an, c'est être exposé au cauchemar bureaucratique, à l'interruption de ses études et, parfois, être privé de sa retraite.

Inutile de préciser que jeter un œil dans son dang'an n'est pas autorisé.

La tibétaine Tsering Woeser, écrivain de 48 ans, a eu la chance de lire le sien il y a quatre ans. Après avoir été remerciée par l'Association pour la Littérature Tibétaine de Lhassa (gérée par l'Etat) pour avoir écrit positivement au sujet du Dalaï Lama, Mme Woeser demanda à un ancien collègue son dossier afin de pouvoir prétendre à une assurance médicale ainsi qu'à d'autres aides.
"Le dossier n'a été que quelques jours dans les mains de ma mère avant que mon unité de travail, paniqué, commence à l'appeler, demandant le retour du document , " déclarait-elle lors d'une interview à Pékin. " Ma mère était si terrifiée - des personnes de son âge sont habituellement effrayées par de tels événements - qu'elle en était presque en pleurs. Je lui ai dit de le garder."
Un ami de Mme Woeser, un réalisateur du nom de Zhu Rikun, était si curieux qu'il entreprit les 45h de voyage pour Lhassa. Le dossier en main, il est revenu à Pékin en quelques jours et proposa à Mme Woeser de lire son dossier à voix haute devant sa caméra. Il en résulta un documentaire intitulé " The Dossier " qui fut présenté l'année dernière dans plusieurs festivals en dehors de la Chine.

Voici un extrait de l'interview :


Q : Il est difficile pour des étrangers de s'imaginer ce que représente le fait d'avoir un dossier personnel inaccessible pour soi, ce que représente le fait d'être un simple citoyen chinois.


R : Beaucoup d'entre nous ne savent pas ce qui est écrit dans notre dang'an, pourtant il pourrait changer nos vies. C'est terrible, c'est comme un monstre invisible qui vous poursuit. C'est propre à un régime totalitaire. Mon dossier débuta quand j'étais au lycée, j'avais 15 ans, mais à cette époque je ne crois pas que l'un d'entre nous trouvait ça effrayant.

Ne pas connaître son contenu m'a rendu curieuse. Il n'était pas épais. Mais au fur et à mesure de ma lecture, j'éprouvais un sentiment d'absurdité. Je me découvrais à mes 15 ans écrivant dans des auto-évaluations des phrases comme " J'aime le Parti Communiste et j'aime notre Grand Leader le Député Mao. "

Q : Comment était-ce de lire votre propre [dossier] ?

R :Le dossier stipulait aussi la classe sociale de ma famille, une bonne classe sociale puisque mes deux parents étaient membres du Parti et que mon père était soldat. Mes examens étaient tous bons, tout comme les commentaires des professeurs bien que certains aient précisé que je n'étais pas toujours obéissante.

A mes débuts dans la vie active, il y avait des commentaires comme " bon travail cette année, augmentation de salaire de 10 yuans ( 1,47 euros)." C'est comme s'ils parlaient d'une machine et pas de moi. Les mots sonnaient terriblement faux. Même au travail, il nous fallait écrire nos évaluations personnelles, et une année j'ai écrit que j'étais bouddhiste, ce qui était très dangereux mais je l'affirmais tout de même. Plus tard, je déclarais que j'avais quitté mon poste volontairement alors qu'en réalité j'aie été renvoyée. C'était la fin de mon dossier.

Q : D'autres choses notables ?

R: Mon plus gros embarras réside dans mon auto-évaluation au travail où j'écrivais : " J'aime le Parti Communiste et qu'importe le moment où le parti me vient à l'esprit, il me rappelle toujours sa générosité envers les minorités ethniques. [Rires] Je suis reconnaissante envers le Formidable Parti."

Il est clair que mes idées personnelles ont grandement changé. Voir mon dang'an m'a aidé à explorer mon passé et permis de voir à quel point nous étions pitoyables, des adolescents prononçant des phrases toutes faites sur l'amour de la mère patrie et interdits de nous exprimer. C'était un processus visant à nous transformer en machines, sans liberté de penser ni individualité. C'est pourquoi j'avais été renvoyée, le Parti Communiste ne tolère pas la vérité. Je ne voulais pas être une machine, j'ai donc parlé vrai. Maintenant que je ne suis plus dans le système, mon âme est libre et je suis heureuse.

Q : Mais vous n'êtes pas complètement libre, si ? Vous ne pouvez pas quitter le sol chinois, vous êtes régulièrement placée en résidence surveillée ou interrogée par la police.

R : Vrai, je suis dans une situation périlleuse. Depuis 2005 j'essaie d'obtenir un passeport, mais ils me le refusent toujours. Ils disent que c'est du fait de ma présence sur la liste du Ministère de la Sécurité Publique et que je suis un danger pour la sécurité nationale.

Q : Est-il juste de penser qu'il existe un autre dossier commençant là où l'ancien s'interrompt ?

R : Oui, et ce dossier est épais parce qu'à chaque fois que la police " me convoque pour le thé ", les agents, avec le sens du devoir, prennent des notes sans fin. Puis ils me demandent de signer, ce que je refuse.

J'aimerais lire ce dossier, mais il se pourrait que j'aie besoin d'attendre l'effondrement du régime communiste. Je ne sais pas ce que j'y trouverai mais peut-être que le contenu m'attristerait. Je pense que, tout comme en Allemagne de l'Est avant la chute du Mur de Berlin, il y aurait beaucoup d'informateurs, y compris parmi la famille et les amis. L'année dernière quand je suis retournée à Lhassa , j'ai compté 50 amis et parents, juste là-bas, qui m'ont dit avoir été convoqués " à prendre le thé " avec la police. Un ami m'a dit qu'ils étaient allés jusqu'à le rosser. D'autres ont été ennuyés juste parce qu'ils sont mes amis. Je m'en sens coupable.

Avec l'aide de Patrick Zuo

Traduction France Tibet

Et en cadeau, voici un documentaire de Zhu Rikun où il endure les questions de la police chinoise, qui n'est pas venue pour prendre le thé... Cela vous permettra de ressentir l'oppression subie par un défenseur des Droits de l'Homme chinois :


The Questioning 【Cha Fang】【查房】(French Subtitles) from Zhu Rikun on Vimeo.

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